Les dizaines de milliers de combattants appuyés par la coalition internationale avancent en direction de Mossoul sur trois fronts. Si tout se passe comme prévu, les membres de l’État islamiqueseront face à une alternative au moment où les troupes irakiennes seront aux portes de la ville : combattre jusqu’à la mort ou prendre la fuite. Acculés depuis l’est, depuis le nord et depuis le sud, ils n’auront d’autre choix que prendre la route de l’ouest en direction de Raqqa, en Syrie.

Le mouvement de fuite serait déjà en cours si l’on en croit les propos tenus le 20 octobre par le président français François Hollande, à l’ouverture d’une réunion de haut niveau à Paris sur l’avenir politique de la seconde ville d’Irak.“Nous devons être exemplaires sur le plan de la poursuite des terroristes qui déjà quittent Mossoul pour rejoindre Raqqa”, “nous ne pouvons admettre une évaporation de ceux qui étaient à Mossoul”, a averti François Hollande.

Source : Thomas Van Linge, <a href="https://pietervanostaeyen.com/" target="_blank">Pietervanostaeyen.com</a>.
Source : Thomas Van Linge, Pietervanostaeyen.com.

Raqqa est la capitale politique et administrative de l’EI. Les combattants de ce qui était alors connu sous le nom de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL) sont arrivés dans la ville au milieu de l’année 2013. Quelques mois plus tard, ils en ont chassé les forces rebelles – islamistes et jihadistes inclus – qui remettaient en question leur autorité, à la suite d’une intense bataille fratricide.

Située au nord de l’Euphrate, la ville syrienne compterait aujourd’hui environ 200 000 habitants. C’est beaucoup moins que les 1,5 million d’habitants de Mossoul, mais cela reste conséquent et le nombre pourrait être amené à augmenter. Si Mossoul tombe, Raqqa sera sans doute le dernier refuge des jihadistes en Irak et en Syrie. C’est là que devrait se jouer la bataille “finale” contre l’EI dans ces deux pays, au moins à court terme.

La coalition menée par les États-Unis a fait le choix stratégique de débuter la reconquête des deux capitales par Mossoul. Lancer les deux opérations en même temps aurait sans doute été plus logique, au moins sur le plan militaire, mais politiquement impossible. Comparé au chaos syrien, le casse-tête irakien ressemblerait presque à un jeu d’enfant.

À Mossoul, les Américains ont longuement négocié pour trouver un terrain d’entente entre les peshmergas, Bagdad, les milices chiites – dont une partie est directement liée à l’Iran –, les combattants sunnites et la Turquie. Le deal est très fragile, puisqu’il suppose que ni les peshmergas, ni les milices chiites, ni les Turcs n’entreront dans la ville, mais il ne règle pas la question de l’après-Mossoul.

“Laissez tomber les Kurdes”

Les Américains peuvent néanmoins s’appuyer sur des alliés clairement identifiables (l’armée irakienne et les peshmergas), bien que plus ou moins solides et plus ou moins fiables, et qui ont accepté de collaborer entre eux, malgré leurs querelles.

À Raqqa, le deal n’existe même pas, du moins pas encore. Et les Américains chercheront comment concilier leurs différents alliés et ne pas donner l’impression d’aider le régime de Damas et ses parrains russes et iraniens. Ils ont commencé par s’appuyer sur les Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), notamment à Manbij. Mais cette position les a mis dans une situation inconfortable vis-à-vis de leur allié turc, qui considère le PYD – branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) – comme un groupe terroriste. Les Américains ont commencé à durcir leur discours contre les Kurdes syriens au moment du lancement par les Turcs de l’opération de Jarablous, le 24 août 2016.

Appuyant des combattants syriens qui se sont regroupés sous la bannière de l’Armée syrienne libre (ASL), l’armée turque a repris depuis plusieurs localités à l’EI,notamment la ville de Dabiq, qui devait être le lieu de la bataille de la fin des temps selon la prophétie apocalyptique des jihadistes. En prouvant qu’il était possible de s’appuyer sur des rebelles syriens pour combattre l’EI, les Turcs ont offert à Washington une réelle alternative aux Kurdes pour reprendre Raqqa. Le message d’Ankara est clair : il sera plus facile de reconquérir la ville sunnite avec des Syriens sunnites, alors “laissez tomber les Kurdes”.

Une équation des plus complexes

Comme à Mossoul, Recep Tayyip Erdogan a expliqué qu’il était hors de question que la Turquie ne participe pas à la reprise de Raqqa. En état de transe depuis le coup d’État manqué du 15 juillet dernier, le président turc veut s’imposer sur tous les fronts, et s’approprier une part du gâteau pour consolider sa position de puissance régionale.

À Mossoul, les Turcs, qui collaborent avec les peshmergas, se tiennent pour l’instant à l’écart malgré les déclarations incendiaires de M. Erdogan. À Raqqa, les Américains devront sûrement faire un choix : ce sera soit les Kurdes, soit les Turcs – qui se sont largement rapprochés des Russes ces dernières semaines. Il faudra gérer, en plus de cela, les velléités de Damas et de ses deux parrains qui voudront également participer à la messe, à partir de Deir ez-Zor. Une équation des plus complexes que Barack Obama, d’un réalisme parfois cynique, n’est peut-être pas pressé de résoudre.

Anthony Samrani