Le Bitcoin à l’épreuve des héritages soviétiques, par Hugo Estecahandy

Dans cet article, Hugo Estecahandy, doctorant à l’IFG et chercheur associé GEODE, propose une analyse géopolitique du minage de cryptomonnaies dans trois pays de l’Est global : la Russie, le Kazakhstan et le Kirghizistan. En mobilisant une approche géopolitique et une modélisation multicouche des infrastructures de Bitcoin, il montre que le minage ne relève pas d’un simple phénomène numérique ou immatériel. Il s’agit, au contraire, d’un processus ancré dans des territoires, des infrastructures physiques et des dynamiques politiques locales.

L’étude repose sur une enquête de terrain menée entre 2019 et 2023, période marquée par l’essor du minage dans l’espace post-soviétique. Elle met en lumière le rôle clé des infrastructures énergétiques héritées de l’époque soviétique, qui favorisent le développement de cette activité grâce à une électricité bon marché, souvent subventionnée, et à un encadrement réglementaire limité. Ces conditions ont permis le déploiement massif de fermes de minage.

L’analyse souligne également les liens étroits entre le minage de cryptomonnaies et les réseaux de pouvoir, officiels ou informels. Des acteurs locaux, parfois proches des élites politiques ou économiques, participent à la régulation ou à la facilitation de ces activités. Les effets varient selon les pays : en Russie, le minage est reconnu comme secteur stratégique ; au Kazakhstan, des mesures strictes ont été adoptées face aux tensions sur le réseau électrique ; au Kirghizistan, l’activité reste largement informelle, souvent tolérée voire soutenue par certains segments de l’État, malgré une pénurie énergétique croissante.

Au-delà de l’étude empirique, cet article contribue aux débats académiques sur la matérialité du numérique et sur la géopolitique des infrastructures digitales. Il souligne la nécessité d’adapter les méthodes d’analyse aux évolutions rapides des réseaux numériques mondialisés et insiste sur l’importance de prendre en compte les héritages historiques et les réalités locales dans la compréhension des dynamiques technologiques contemporaines.