La sécurité des infrastructures numériques, par Stéphane Taillat

Stéphane Taillat, directeur adjoint de l’IFG Lab et chercheur associé GEODE, analyse dans son article « Repenser les enjeux de sécurité des infrastructures numériques », publié sur Areion24.news, les concepts clés et les enjeux de sécurité liés au numérique.
Redéfinition conceptuelle du numérique
Les termes de « cyber » et de « cyberespace » sont aujourd’hui largement utilisés, tant dans les milieux académiques que professionnels, mais leur sens reste flou et polysémique. Stéphane Taillat souligne que ces notions, issues en partie de la science-fiction et ancrées dans un contexte culturel occidental, véhiculent des présupposés qui peuvent limiter la compréhension des évolutions et des usages émergents du numérique. Leur emploi non questionné rend également difficile la mise en perspective et la comparaison des enjeux de sécurité à l’échelle internationale.
Pour dépasser ces limites, l’auteur propose de privilégier des concepts plus opératoires, comme celui de « datasphère » ou, surtout, celui d’« infrastructures numériques ». Ces dernières regroupent l’ensemble des systèmes matériels et physiques, les acteurs chargés de leur fonctionnement et de leur maintenance, ainsi que les règles, protocoles et cadres juridiques qui structurent la circulation, le traitement et l’exploitation de l’information numérique. Envisager le cyberespace comme un ensemble d’infrastructures permet de mieux analyser les rapports de pouvoir, les dépendances, les vulnérabilités et les stratégies étatiques ou privées, tout en facilitant les comparaisons entre contextes nationaux.
La cybersécurité : entre menaces et vulnérabilités
La cybersécurité constitue un enjeu central dans l’analyse des infrastructures numériques. Stéphane Taillat montre qu’elle repose historiquement sur deux grandes perspectives, souvent abordées séparément alors qu’elles sont complémentaires.
La première est centrée sur les menaces : elle s’intéresse aux acteurs malveillants, à leurs intentions, à leurs modes opératoires et à l’attribution des cyberattaques. Cette approche est au cœur de la cyberdéfense, du renseignement sur la menace (cyber threat intelligence) et des pratiques de threat hunting, et elle est particulièrement valorisée par les États dans une logique de réponse, de dissuasion ou de sanction.
La seconde perspective est orientée vers les vulnérabilités. Héritée de la sécurité de l’information (Infosec), elle vise à identifier, réduire et corriger les failles des systèmes numériques. Elle structure une large part de l’industrie de la cybersécurité (antivirus, pare-feu, tests de pénétration, programmes de bug bounty) et repose sur le constat que les infrastructures numériques sont intrinsèquement vulnérables, en raison de leur architecture décentralisée, de leur complexité et de l’absence fréquente de sécurisation dès la conception.
Des enjeux de puissance et de gouvernance
L’analyse de la cybersécurité révèle des rapports de force et des enjeux de puissance majeurs. Les infrastructures numériques sont devenues indispensables au fonctionnement des sociétés contemporaines, ce qui en fait des cibles stratégiques et des leviers d’influence. La gestion des vulnérabilités implique ainsi des négociations complexes entre acteurs privés, pouvoirs publics et régulateurs, autour de questions économiques, politiques et juridiques (partage d’informations, responsabilités, réglementation).
Les États occupent à cet égard une position ambivalente. D’un côté, ils sont chargés de protéger les infrastructures numériques et de réduire les risques pesant sur les citoyens, les entreprises et les services essentiels. De l’autre, ils peuvent entretenir ou exploiter certaines vulnérabilités à des fins offensives ou de renseignement, dans le cadre de leurs rivalités géopolitiques. Cette porosité entre les logiques défensives et offensives montre que menaces et vulnérabilités ne peuvent être pensées séparément.
Ainsi, le cyberespace, envisagé comme un ensemble d’infrastructures numériques, apparaît comme un espace profondément politique et stratégique. Stéphane Taillat plaide pour un cadre analytique global, capable d’articuler simultanément menaces et vulnérabilités, afin de mieux comprendre les enjeux de sécurité, de puissance et de gouvernance du numérique à l’échelle nationale et internationale.
>> En savoir plus <<
Tag:aerion, cyber, cybersécurité, geode, IFG, IFGlab, stephanetaillat, taillat



