Expansion d’un système russe en échec, par Jonathan Guiffard

Pour l’Institut Montaigne, Jonathan Guiffard, doctorant à l’IFG et chercheur associé GEODE, analyse la présence et l’expansion de l’influence russe en Afrique. Il s’intéresse à la stratégie déployée par Moscou, à ses modes d’action et à sa capacité d’adaptation aux contextes locaux, dans un environnement marqué par le recul des puissances occidentales et des rivalités géopolitiques accrues.
Depuis 2018, la Russie a mis en place un système d’influence structuré autour d’une « colonne vertébrale » (backbone) de pays alliés et de « cibles » (targets) qui constituent autant de fronts de son influence. Cette stratégie s’est initialement appuyée sur le groupe Wagner, puis Moscou a repris un contrôle plus direct à travers des structures telles que l’Africa Corps, tout en consolidant ses alliances via des initiatives diplomatiques et des dispositifs d’influence politique et informationnelle.
La Russie poursuit l’élargissement de son réseau d’alliances. Parmi les développements récents : le déploiement de mercenaires en Guinée équatoriale pour sécuriser le président Teodoro Obiang, l’ouverture de « Maisons russes » servant de relais culturel et diplomatique dans plusieurs pays africains (Éthiopie, République du Congo, Guinée, Sierra Leone, Somalie, Tchad, Angola…), et la montée en puissance de dirigeants ou partis politiques plus favorables à Moscou, comme John Mahama au Ghana ou certains acteurs de la junte malienne et de l’Alliance des États du Sahel (AES).
La Russie adapte sa politique d’influence selon le type de pays ciblé. Pour les « cibles dures », elle privilégie des campagnes de désinformation et de délégitimation des pouvoirs en place. Pour les « cibles douces », elle combine séduction des élites, gestes publics de rapprochement et pression informationnelle graduelle. En parallèle, Moscou soutient des organisations de la société civile (OSC), héritées des « mesures actives » soviétiques, qui servent à relayer des discours anti-occidentaux, à promouvoir un rapprochement avec Moscou et à s’ancrer localement dans les revendications populaires. Ces OSC sont présentes dans de nombreux pays, de la Côte d’Ivoire au Sénégal, en passant par le Kenya, le Mali, le Burkina Faso et le Niger.
Malgré cette expansion, le système russe montre des limites importantes. L’assistance sécuritaire au Mali illustre ces faiblesses : ni Wagner ni l’Africa Corps n’ont permis de repousser durablement le JNIM, et les tensions avec les forces locales ont fragilisé la crédibilité de la Russie. La chute de Bachar al-Assad en Syrie a également révélé les limites de la projection russe de puissance et de son soutien aux régimes alliés.
Par ailleurs, les régimes alliés connaissent une radicalisation progressive : contrôle renforcé de la société civile, restrictions politiques et médiatiques, exactions contre les populations et prédation économique. La Russie, en tant qu’État fonctionnant sur des logiques de corruption et d’intérêts partagés, trouve dans ces régimes des partenaires compatibles pour échanger ou s’accaparer des ressources stratégiques.
Enfin, malgré les échecs militaires et stratégiques, Moscou conserve un pouvoir d’attraction grâce à un mélange d’alignement idéologique et d’intérêts économiques. Le rejet d’un ordre occidental perçu comme injuste et la promesse de gains matériels et stratégiques renforcent l’attractivité de la Russie auprès de régimes autocratiques ou fragilisés, lui permettant de poursuivre son influence sur le continent.
>> En savoir plus ici ! <<
Tag:afrique, desinformation, geode, guiffard, IFG, influence, jonathanguiffard, moscou, russie, strategie



