“Géopolitique de la langue française”
Il s’agit de montrer quelles relations de pouvoir induit l’usage du français dans différentes types de sociétés, et de mettre en valeur le fait que cet usage n’a pas le même sens, ni la même fonction selon que l’on se trouve au Liban, en Belgique, en Algérie, au Québec, en France…
Le lendemain, mercredi 8 novembre, l’université Paris 8 accordera le titre de docteur Honoris Causa au président Abdou Diouf.
Le colloque aura lieu à l’École Normale Supérieure, Salle Dussane, au 45 rue d’Ulm, Paris 5ème.
Géopolitique de la langue française
Il s’agit de proposer des pistes de réflexion sur la place ou la fonction politique et culturelle de la langue française au sein des sociétés où elle est parlée, y compris la société française, et sur les groupes politiques et sociaux qui se déterminent par rapport à l’usage de cette langue.
L’année 2006 est celle du centenaire de la naissance de Léopold Sedar Senghor. Il fut l’un des précurseurs de l’appropriation de la langue française perçue comme un outil intellectuel propice au développement des peuples nouvellement indépendants. Il exprima une volonté explicite d’assimiler la liberté spirituelle offerte par une grande langue sans être assimilé par la société d’origine de cette langue, la France. La mise en place des institutions de la francophonie a été impulsée par des personnalités de ces pays pour lesquels la langue française représentait une ouverture de soi vers le monde, et du monde vers soi. Pourtant, alors même que se consolide l’édifice de la francophonie, on assiste à l’expansion de l’influence des sociétés anglophones dynamiques et puissantes et l’on peut se demander si notre langue représente toujours une ouverture au même titre que dans le passé.
Le monde contemporain valorise beaucoup plus qu’à l’époque de Senghor les identités locales qui ramènent les hommes à leurs « racines ». Face aux réalités compliquées d’une mondialisation accélérée, le réflexe protectionniste culturel, que nous traduisons en France par « exception culturelle », est une donnée qui prend une importance nouvelle. Les mots « universalité » ou « civilisation universelle » qu’employait Léopold Sedar Senghor pour expliquer son désir de transmettre la langue française au peuple africain n’a plus exactement le même sens aujourd’hui. L’usage actuel de la langue française dans de nombreux pays, malgré parfois la volonté de leurs dirigeants, a des résonances politiques et culturelles qui sont à explorer pour mieux comprendre non seulement les rapports de la langue française au monde, mais aussi, ou surtout, l’inscription de ces sociétés francophones dans l’universalité contemporaine.
L’approche géopolitique de la langue française passe aussi par l’analyse du rapport entre langue et nation, en France et dans d’autres pays de langue officielle francophone qui ne font pas partie des colonies du XIXe siècle. Le cas du Québec et du Canada francophone peut nous éclairer sur la relation entre langue française et identité américaine. Les cas de la Suisse et de la Belgique voisines de la France soulèvent d’autres interrogations sur le rapport entre langue et nation.
On distinguera donc trois axes de réflexion :
La langue coloniale : les cas des États maghrebins et d’autres anciennes colonies du XIXe siècle, pays dans lesquels, théoriquement, le français aurait dû être rejeté comme langue du colonisateur et qui pourtant est encore parlé et défendu aujourd’hui. On partira de ce paradoxe pour tisser tout autour des approches différentes, littéraires, géopolitiques, sociologiques.
Les rapports entre langue et nation dans les pays de langue officielle française en mettant l’accent sur les facteurs de diversité
La francophonie : Qui défend aujourd’hui l’usage de la langue française, qui l’abandonne : États, générations, classes sociales.
L’approche géopolitique met l’accent sur les relations de pouvoir au sein des sociétés, et sur les représentations, les convictions défendues par les individus et les groupes.Elle est pertinente pour aborder ces questions de façon pluridisciplinaire, prenant en compte à la fois la culture et la politique, afin de jauger, dans les différents cas abordés la place de l’une et de l’autre et leurs interactions.
Programme prévisionnel
Ouverture par Xavier North, Délégué général à la langue française et aux langues de France.
Communication : le français face à la mondialisation.
– Première demi-journée : Maghreb
La colonisation du Maghreb et l’enjeu de l’enseignement du français aux indigènes
par Yves Lacoste, Professeur émérite, Université Paris 8
- Contrairement à une idée reçue, la colonisation française en Algérie ne s’est pas accompagnée d’une stratégie d’acculturation des indigènes par l’apprentissage du français et encore moins de la formation d’une élite. Plus d’un siècle après la conquête la grande majorité de la population indigène ne parlait toujours pas français alors que l’Algérie faisait partie constitutionnellement du territoire de la République. Le cas de l’Algérie française se distingue de ce fait notablement de celui de l’Inde britannique où les colonisateurs britanniques ont formé une élite anglophone en créant une université dès la fin du 19éme siècle.
Evolution de l’enseignement du français en Algérie aujourd’hui
par Philippe Georgeais, Conseiller culturel, Ambassade de France Alger, Algérie
- Après une période d’arabisation massive de l’enseignement et l’affirmation de l’unicité linguistique nationale, les autorités algériennes favorisent de nouveau l’enseignement de la langue française dès le niveau primaire.
- Défis et enjeux de ce renouveau et sa réception dans les différents milieux algériens.
Les rapports de force entre les différentes langues en présence au Maroc :
par Fouzia Benzacour, Professeur Université Mohammed V, Faculté des lettres et sciences humaines de Rabat, Maroc/Professeur Université de Laval, Québec, Canada
- Reconstructions identitaires, politiques d’arabisation, action en faveur de la reconnaissance de la spécificité de la culture amazighe (berbère). Pourquoi assiste-t-on au renforcement du français comme langue d’enseignement supérieur et langue de travail dans les secteurs modernes de l’économie mais aussi comme langue d’écriture de la presse francophone et des écrivains francophones toutes générations confondues et son appropriation par les locuteurs francophones ?
La société algérienne et le partage de la langue française
par Taleb Ibrahimi Khaoula, Université d’Alger, Algérie
- Analyse de l’élite algérienne définie par l’usage correct du français et de son orthographe. La société algérienne et le partage de la langue française, orale et écrite. Les caractéristiques de la presse écrite en français. Réflexion sur la relation entre féminisme et langue française, entre conscience berbère et langue française.
– Deuxième demi-journée : Afrique noire francophone
L’intégration africaine et le problème linguistique : Quel avenir pour le Français ?
par Aloyse N’diaye, ancien vice-recteur à la régionalisation (AUF)
- L’échec des projets de fédérations africaines à l’époque des indépendances, a conduit les responsables politiques africains à repenser leur coopération et à renforcer leur solidarité dans de nouvelles structures politiques d’intégration régionale. Ainsi, en Afrique de l’Ouest, la CDE AO, l’UEMOA…. En Afrique Centrale, la CEMAC…. Ces ensembles régionaux créés par des Etats indépendants et souverains sont des lieux privilégiés de contacts entre les langues africaines, ou langues nationales, et les langues de communication internationale, le Français, l’Anglais, le Portugais… Si le développement d’une langue est fonction de la puissance politique, militaire, économique des peuples, il y a lieu de s’interroger sur l’avenir du Français en Afrique, particulièrement dans les Etats francophones dont la plupart sont affaiblis par l’instabilité politique, les guerres et la « mal gouvernance ». Face à la puissance de l’Afrique du Sud et du géant Nigeria, le projet francophone a-t-il encore une chance de survivre ?
Enjeux politiques et territoriaux de l’usage du français au Cameroun
par Zachée Denis Bitjaa Kody, Chargé de cours Université de Yaoundé I, Faculté des arts, lettres et sciences humaines Département de langues africaines et de linguistique
- Les représentations linguistiques ne sont pas une donnée primaire, immuable et directement accessible. Elles sont construites à partir de l’expérience vécue, actuelle ou passée, des idées reçues et des images marquantes essentiellement antérieures. Pour cette raison, elles se localisent volontiers dans l’inconscient collectif du peuple. Cependant, comme toute opinion nationale ou internationale, elles sont instables par essence. En cette période de mondialisation où la pression de l’anglo-américain est ressentie instantanément par la voie des médias jusque dans les villages camerounais les plus reculés, les représentations du français ne sauraient être les mêmes qu’il y a 30 ans.
- La présente contribution à l’analyse de la géopolitique de la langue française examine les enjeux politiques et territoriaux de la langue française au Cameroun, à travers l’analyse des attitudes et des représentations linguistiques des Camerounais francophones vis-à-vis des deux langues officielles, afin de déterminer leur degré d’attachement actuel à cette langue et entrevoir les effets d’un éventuel cataclysme linguistique en Afrique centrale.
Le français en Afrique Noire : de l’imposition à l’appropriation raisonnée d’une langue exogène
par Jérémie Kouadio N’Guessan , Professeur, Université de Cocody-Abidjan, Département de linguistique UFR langues, littérature et civilisations
- Ces dernières années, les résultats des recherches entreprises dans différents pays d’Afrique francophone sur les pratiques du français ont toutes conclu à l’enracinement irréversible de cette langue dans les terroirs où elle a été imposée et qui l’ont accueillie par la force des choses. Cet enracinement s’accompagne naturellement de l’africanisation de cette langue. Les chercheurs africains sont aujourd’hui des acteurs plus qu’actifs dans le domaine des recherches sociolinguistiques centrées sur la variation du français en terre africaine.
- L’idée selon laquelle l’émergence des variétés africaines du français et l’intérêt scientifique qu’on leur accorde signifieraient l’échec de la Francophonie n’est pas recevable.
- La communication comprendra trois parties : la première rappellera brièvement les conditions historiques et l’argumentaire idéologique de l’imposition du français ; la deuxième traitera des opinions des francophones africains d’aujourd’hui vis-à-vis du français et des représentations qu’ils en font ; la troisième partie montrera le poids réel du français dans la vie quotidienne des Africains et comment cette langue est devenue, pour tout dire, incontournable.
Langues natales et europhonie en Afrique : pour un dépassement de la francophonie
par Auguste Moussirou-Mouyama, Laboratoire des sciences de l’homme et de la dynamique du langage (LASCIDYL), Faculté des lettres et sciences humaines, Libreville
- Le débat sur la francophonie dans les anciennes colonies françaises d’Afrique aboutit vite à une impasse, si l’on ne rattache l’expression en langue française qu’à sa stricte dimension linguistique, oubliant qu’elle est d’abord une conséquence d’une expansion géographique dont les fondements sont idéologiques. C’est cette impasse qui peut donner lieu à des attitudes qui peuvent paraître contradictoires chez les africains qui en viennent aujourd’hui à revendiquer la patrimonialisation du français ou simplement son usage pour conserver leur identité (sic). En considérant la francophonie dans sa dimension géographique, le contact des langues n’est plus source de schizphrénie puisqu’il s’explique mieux comme une question d’écologie.
- Prenant appui sur les travaux de Louis-Jean Calvet ou Salikoko Mufwene par exemple, nous remettons à plat la carte sociolinguistique de l’Afrique post-coloniale qui révèle un certain nombre de langues imbriquées dans un espace dont la dynamique ne se réduit pas au seul rapport entre le français et les langues natales. Ce qui oblige à repenser toutes les politiques linguistiques africaines qui n’intègrent pas suffisamment les changements de paradigme induits aussi bien par la construction d’un espace européen que par la mise en place d’une Union africaine. C’est ainsi que le concept d’europhonie nous aide à dépassionner un débat “francophone” dans lequel la langue est, à ce jour, prise en otage par les politiques culturelles (notamment éditoriales) de l’ancienne métropole et les politiques économiques désastreuses des anciennes colonies. Une telle approche a évidemment des conséquences sur le plan épistémologique, notamment pour les sciences du langage qui sont souvent convoquées pour expliquer la